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"DE TOI À LA SURFACE", LE PLATEAU FRAC ILE DE FANCE - ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS AUBART / 2016

Vue de l’exposition De toi à la surface, frac île-de-france, le plateau, Paris, 2016. Photo : Martin Argyroglo

Noémie Monier : Pourriez-vous nous raconter la genèse de cette d’exposition ?

François Aubart : J'ai été invité par le centre d'art de Brest « Passerelle » à réfléchir à un projet pédagogique, que j'ai défini comme une série d'interventions sous forme de conférences. Je voulais que ce soit un moment de discussions qui seraient l'occasion d'élaborer des pistes de recherche sur la question élargie du fétichisme, pour comprendre comment on investit du sens et des affects dans des objets inanimés qui n'ont pas vocation à l'être, comment il devient le moyen de reconstituer une histoire ou de se construire une identité. Ça a mis du temps à se mettre en place, j'avais donc déjà commencé à murir précisément cette réflexion quand Xavier Franceschi m'a proposé de faire cette exposition au Plateau. J'ai voulu faire un lien entre ces deux projets, sans pour autant que l'un devienne l'illustration de l'autre. Très peu d'artistes que je mentionne à « Passerelle » sont présentés au Plateau, l'idée n'était pas que la théorie vienne alimenter l'exposition, mais que les pistes et les réflexions s'entrecroisent, le point névralgique étant de comprendre comment on fait du sens avec des objets, comment ils deviennent le point de départ d'une histoire ou d'un scénario.
A ce sujet, il y a l'affection sentimentale d'une part, la montre à laquelle on est attachée parce qu'elle nous a été offerte, mais il y a aussi une autre forme d'attachement qui est celle qu'on nous vend quand on achète un produit. L'objet n'est plus seulement fonctionnel, il devient le vecteur de valeurs positives, une image, un signe social.
Le fétichisme touche à trois différents domaines qui sont le capital chez Marx, la psychologie chez Freud, et les relations magiques et religieuses dans l'anthropologie. Le terme dans chacun de ces domaines veut dire à peu près la même chose, qui est le fait d'investir des fables dans des objets. Mais l’enjeu ici n’étant pas de faire son histoire, le fétichisme est entendu au sens très large. Je ne voulais pas faire une exposition à thème, l'objectif était de constituer un environnement de pensée où un certain nombre de pièces communiquent entre elles. J'aime bien l'idée qu'après la visite il soit difficile de dire précisément sur quoi portait l’exposition.

NM : Dans votre parcours vous vous êtes intéressé à la question de la mythologie individuelle, où l'objet est un vecteur de l'intimité, du quotidien d'un individu. Dans l'exposition il tient le rôle inverse et devient un moyen d'interroger des normes, un quotidien devenu collectif où prédomine une forme d'anonymat


FA : Effectivement il y a un lien, dans la mesure où les mythologies individuelles sont une façon de se protéger des normes sociales, c'est un espace où tout d'un coup on peut réinventer ses propres règles : c'est Beuys qui réinvente une mythologie à partir des matériaux pour raconter sa vie, pour faire de sa vie quelque chose de hors norme. On retrouve le même processus chez Etienne Martin. Il y a une société qui se stratifie, qui se rigidifie, donc l'enjeu est de dégager un espace pour pouvoir faire un pas de côté.
Ici le schéma s’inverse, dans la mesure où l'ensemble des pièces qui sont dans l'exposition prennent appui sur des normes partagées, l'affect, le marketing, qui permettent quand même à un moment de tendre vers une forme plus personnelle, la réinvestir, mais il y a au départ un vocabulaire commun. La pièce de Karl Larsson fonctionne simplement sur le fait qu'un parapluie et son sigle indiquent qu'il faut se protéger de la pluie, et c'est parce qu'on connaît ce langage partagé qu'on peut le suivre dans sa mise en abyme. De la même façon dans la pièce de Simon Dibbroe Møller, c'est parce qu'on sait ce qu'est une voiture et comment fonctionne une publicité qu'on est capable de lire le démontage qu'il produit.
Il y a une part importante dans le travail de ces artistes qui relève d’un recours à la ritualisation, la dernière vidéo de Stuart Sherman par exemple s'appuie sur des éléments banals, des objets en plastique qui permettent de fabriquer de la narration essentiellement parce qu'au-delà du fait qu'on ne comprend pas ce dont il s'agit, on saisit qu'il est question d'un rituel, on voit bien qu'il y a des règles.

NM : Il y a donc une inversion du rituel, dont le rôle est de structurer le collectif, pour l'appliquer ici à un cadre strictement intime et subjectif, qui ne s'adresse qu'à lui-même finalement

FA : Oui mais la considération pour le public n'est pas la même que dans la mythologie individuelle, il ouvre une table qui devient une scène tournée vers le spectateur où les gestes lui sont directement adressés, or dans les mythologie individuelles le public est considéré comme partie prenante, ce n'est pas quelqu'un à qui l'on s'adresse, il est mis devant le fait accompli. On rentre dans la maison d'Etienne Martin ou de Mario Merz, on pénètre directement dans leur monde, or là chez Sherman et chez les autres artistes de l'exposition ils nous montrent quelque chose qui n'est pas leur espace intime. Dans toute l'exposition il y a cette récurrence de la scène, chez Barbara Bloom il y a une estrade, dans la vidéo de James Welling la manipulation des objets a vocation à fabriquer une scène avec très peu de choses, le carrelage blanc de Shelly Nadashi recrée aussi un espace. Il y a toujours un espace scénique, les photos de Boltanski sont aussi l'endroit d'une fiction, et ce n’est pas celle de sa propre vie.

NM : Il y a comme un double rapport entre l’homme et l’objet dans les œuvres, dans le sens où parfois l’objet intervient à titre fonctionnel et parfois il prend l’allure d’un être, comme dans ces pièces de Judith Hopf où la structure minimale devient anthropomorphe, comme pour figurer que c’est le corps de l’homme qui finit par s’adapter à l’objet. Cela suggère-t-il que l’objet conçu pour créer du confort finit par générer de la contrainte ?

FA : Le processus industrielle est là pour normaliser des pratiques, des réponses à des situations, donc de fait la singularité est toujours niée dans une certaine mesure. Si le marketing a pour argument de vente de permettre d’être soi-même paradoxalement c’est cette identité qui est perdue. A ce sujet les photographies de Boltanski sont assez justes puisque ces images montrent des jouets pour enfant qui parlent aussi d’une normalisation de l’éducation, de l’imaginaire. La pièce de Camille Blatrix évoque aussi cette normalisation du désir qui fait qu’à chaque fois qu’une nouvelle version d’un objet paraît on la désire un peu plus que la précédente. Tout le processus d’industrialisation se fait au dépend de la singularité sous couvert d’appropriation.

Vue de l’exposition De toi à la surface, frac île-de-france, le plateau, Paris, 2016. Photo : Martin Argyroglo
Vue de l’exposition De toi à la surface, frac île-de-france, le plateau, Paris, 2016. Photo : Martin Argyroglo
Vue de l’exposition De toi à la surface, frac île-de-france, le plateau, Paris, 2016. Photo : Martin Argyroglo
Vue de l’exposition De toi à la surface, frac île-de-france, le plateau, Paris, 2016. Photo : Martin Argyroglo

NM : Il y a aussi une répercussion dans le rapport au temps, un paradoxe entre le déroulement linéaire d’une narration et la temporalité de ces œuvres qui semble suspendue, où le temps de l’action est incertain

FA : Oui, sauf peut être pour les vidéos qui de fait induisent une temporalité visible. C’est intéressant parce qu’initialement je voulais inclure une peinture de De Chirico, justement parce que ce sont des œuvres qui représentent des objets qui sont au cœur d’une scène. Dans sa série des places d’Italie il y a justement un temps très curieux, qui semble complètement arrêté.

NM : Les objets semblent être dans l’attente d’une activation, induite aussi par les jeux d’absence des protagonistes dont finalement on ne sait pas bien qui ils pourraient être, je pense par exemple aux meubles de Jean-Pascal Flavien, ou au contraire à ceux d’Anouchka Oler qui sont des incarnations, comme des prolongements du corps de l’artiste, des entités investies d’émotions

FA : Il me semble qu’il est vain d’essayer de savoir à qui appartiennent les objets, ou à qui ils sont destinés. L’exposition est justement un lieu de réflexion sur cette situation. Même si le consommateur ne perd pas son esprit critique quand il entre dans un Apple Store, l’espace d’exposition est précisément celui de la mise à distance. Jean-Pascal Flavien questionne les espaces et les objets liés à l’habitat, mais il est très attentif au fait que l’espace d’exposition est celui dans lequel le spectateur ne peut ni toucher ni manipuler ce qu’il regarde, c’est un espace de contemplation et donc de réflexion. Tout ce qui implique une action est mis en place dans les maisons qu’il conçoit, qui sont des espaces propices à l’interaction réelle avec les objets. Le jeu de contraintes et d’ambiguïté est adapté aux contingences.

NM : Comme dans cette maison si étroite que chaque geste nécessite de déplacer un objet, où l’espace devient un obstacle perpétuel. De le même manière il y a une forme d’ironie latente qui traverse l’exposition, qui passe par une forme d’absurde aux résonnances parfois grinçantes, teintée d’une sorte de mélancolie du futur qui rejoint cette question de l’espace-temps.

FA : Ce serait peut être plus de l’ordre du burlesque. La pièce de Flavien est assez représentative de cet aspect de l’art contemporain qui intervient comme un endroit où il y a d’autres règles, où il faut accepter qu’ici une chaise à côté d’une table à côté d’une chaise, ça forme une phrase, dans une poétique du monde alternative à notre quotidien. Chez Barbara Bloom c’est aussi un jeu qui commence à agir quand on en saisit les règles. Le burlesque naît de cette impression qu’on a été dépossédé de ces règles qui régissent la relation au monde, on devient d’un coup des inadaptés. C’est pour ça que le terme « burlesque » me semble plus juste que celui d’ « ironie », qui implique toujours une forme de désinvolture, mais on peut dire qu’il y a de l’ironie si on l’entend au sens de la dérision plutôt que du cynisme.

NM : Vous évoquiez tout à l’heure des objets qui recomposent des phrases chez Flavien, et justement dans les textes de présentation des artistes il est question à plusieurs reprises des analogies de langages qui s’incarnent dans les pièces. Est-ce que ça correspond pour les artistes à une volonté de déconstruire la pensée par l’objet ?

FA : Oui et c’est aussi le cas dans les pièces de Karl Larsson : qu’est-ce que c’est que d’exprimer quelque chose en utilisant les objets ? Avec les affiches des parapluie, l’accroche va en soi produire une phrase par l’effet de répétition. Stuart Sherman en mettant des choses les unes à côté des autres procède d’une forme de syntaxe, très simplement, juste par association. Les objets ainsi associés deviennent des signes, des indices, dont l’ensemble recoupe une forme de langage. C'est aussi comme ça que procède un détective, l'objet identifié comme indice permet d’effectuer des déductions, de remonter des pistes et de reconstituer une histoire.

Vue de l’exposition De toi à la surface, frac île-de-france, le plateau, Paris, 2016. Photo : Martin Argyroglo
Vue de l’exposition De toi à la surface, frac île-de-france, le plateau, Paris, 2016. Photo : Martin Argyroglo
Vue de l’exposition De toi à la surface, frac île-de-france, le plateau, Paris, 2016. Photo : Martin Argyroglo
Vue de l’exposition De toi à la surface, frac île-de-france, le plateau, Paris, 2016. Photo : Martin Argyroglo

⇒ Découvrir l'article sur le site de la revue Inferno

⇒ Découvrir le site internet du Plateau Frac Ile de France

Exposition « De toi à la surface », Le Plateau - FRAC Ile de France, 21.01 – 10.04.2016 Camille Blatrix, Barbara Bloom, Christian Boltanski, Simon Dybbroe Møller, Jean-Pascal Flavien, Judith Hopf, Karl Larsson, Shelly Nadashi, Anouchka Oler, Stuart Sherman, James Welling Commissaire de l’exposition : François Aubart

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